Mélenchon… La grande illusion !
CHRONIQUE «IRONIQUES»
C’est toujours triste
lorsqu’on a connu un artiste au sommet de son art de le voir péricliter.
La scène, les applaudissements, les vivats du public sont une drogue dure.
Rares sont les stars qui ont su raccrocher à temps. Pour ma part, j’éprouve une
certaine tendresse pour ces êtres qui jusqu’au bout cherchent la chaleur des
projecteurs. Dès lors, comment en vouloir à Jean-Luc Mélenchon d’avoir
bidouillé son intervention au journal télévisé dimanche dernier. Alors qu’il
nous avait promis «la foule des grands jours» pour sa marche en faveur
d’une révolution fiscale, le chef du Front de gauche se trouvait quasiment
seul, avenue des Gobelins, quelques minutes avant son direct sur TF1.
Branle-bas de combat, panique à bord, il a fallu trouver à la hâte une
vingtaine de militants afin que le vieux leader paraisse entouré. Pour que
l’illusion soit parfaite, TF1, complice de cette mascarade, avait filmé
Jean-Luc en plan serré et Claire Chazal, toujours bienveillante, déclarait :
«On aperçoit derrière vous des drapeaux et des gens qui se massent.»
La grande illusion.
Seulement voilà, pour
réussir son coup, Méluche fut bien obligé de s’entendre avec la chaîne du
capitalisme, de Bouygues et «des patrons voyous», copiner avec des
journalistes, «cette sale corporation voyeuriste et vendeuse de papier», et
tout ça pour la bonne cause : sauver à tout prix les apparences, déguiser la
vérité.
Oui, mais manque de bol,
un journaliste d’Euronews habitant dans l’immeuble d’en face immortalisa la
scène en la photographiant : devant la caméra, un Jean-Luc Mélenchon, seul,
perdu au milieu de l’avenue des Gobelins, avec en arrière plan, tel un décor de
carton-pâte, un dernier carré de supporteurs fidèles… cliché dévastateur !
On pense à Sarkozy
convoquant des figurants habillés en ouvrier lors de la visite d’un chantier ou
au film de Patrice Leconte Tandem lorsque Rochefort, animateur has been,
continue de présenter son émission de radio alors que celle-ci n’est plus
diffusée depuis des semaines. Son ingénieur du son, Gérard Jugnot, ayant
préféré lui cacher la vérité. Alors, comment expliquer ce désamour si soudain
du public ? Comment un homme qui, il y a deux ans, rassemblait 120
000 personnes, peine-t-il aujourd’hui à en réunir 7 000 ? Y a-t-il une
malédiction des Jean-Luc ? Jean-Luc Lahaye et aujourd’hui… Mélenchon. Comme
toute vedette qui ne remplit plus ses salles, Jean-Luc tente des come-back
désespérés, multiplie les provocations : «Cuba n’est pas une dictature ; Pierre
Moscovici ne pense pas français mais finance internationale ; le Petit
Journal est la vermine du FN ; les Normands sont des alcooliques et
des Français arriérés.»
A gauche comme à droite,
les critiques pleuvent, ses anciens camarades parlent «de vocabulaire
des années 30, de relents antisémites». Méluche n’en a cure et s’enferre
dans la surenchère.
Qu’est-il arrivé au
truculent Jean-Luc, cet ancien prof de lettres qui jadis nous réjouissait de sa
verve picaresque et de ses mots d’esprit ? Où est passé celui qui nous
avait tous fait rire en qualifiant Hollande de «capitaine de pédalo» ?
On évoque le syndrome
Dieudonné, cet ancien humoriste, aujourd’hui révisionniste, abonné
désormais aux jeux de mots nauséabonds.
Pour revenir dans la
lumière, Jean-Luc est prêt à tout, n’hésitant pas à renier les raisons pour
lesquelles son public l’a aimé. Quand le porte-parole des oubliés,
des laissés-pour-compte déclare lors d’une visite au Bourget : «Ne voyager
qu’en classe affaires… avoir passé l’âge d’aller se briser le dos en classe
économique», on crut d’abord à une énième boutade, Jean-Luc n’avait pas
les moyens de s’offrir un tel luxe : 6 000 euros pour un Paris-Pékin sur
Air France, plusieurs mois de Smic… impossible ! Puis, le patrimoine de nos
élus étant consultable, on s’amusa à vérifier. Avec une indemnité totale
de 144 108 euros par an en tant que député européen (exonéré de CSG
et de CRDS) plus les droits d’auteur de ses livres et ses biens
personnels estimés à 800 000 euros, Jean-Luc peut effectivement
s’offrir la classe affaires. De là, à vouer aux gémonies les salauds de
riches tout en s’affalant dans le siège inclinable d’un jet au Bourget… On peut
comprendre que dimanche dernier, certains militants aient préféré économiser le
prix d’un ticket de métro plutôt que d’aller l’applaudir.
Malheureusement, le pire
est à venir car le vieux cabot de la politique ne supporte pas la relève.
Ainsi les Bretons qui lui ont volé sa révolution sont «des esclaves manifestant
pour les droits de leur maître». Jean-Luc, à l’instar d’une Chantal Goya,
saura-t-il trouver un second souffle, une deuxième jeunesse ?
Sur le modèle d’Age tendre
et tête de bois, pourquoi ne pas envisager une tournée des idoles, une
croisière en compagnie d’anciennes gloires de la politique : «Antoine Waechter,
Michel Noir, Arlette Laguiller, François Léotard». Eviter à tout prix
le combat de trop car, un jour, celui qui amuse encore les médias,
l’imprécateur des émissions de variétés ne fera plus d’audimat… la
surenchère ne suffira plus et les sunlights s’éteindront définitivement.
Stéphane GUILLON
Jean-Luc Mélenchon, repoussoir
préféré du pays enchanté
D’abord, c’est Jean-Luc Mélenchon qui est accusé
d’avoir truqué l’image. Son interview en duplex sur TF1, quelques minutes avant
le début de la manif contre les hausses de TVA, a été filmée devant
quelques manifestants formant décor dans une rue déserte.
De son balcon,
un journaliste néerlandais a photographié la manip. Buzz. Scandale.
Questions. Le CSA se saisit de l’affaire. Coup de théâtre le lendemain : pour
illustrer le bide de ladite manif de Mélenchon (100 000 manifestants selon
les organisateurs, 7 000 selon la préfecture de police), i-Télé et Canal +
diffusent des images d’une foule clairsemée, images provenant d’une manif de la
veille, en commémoration de la «Marche des beurs». La foule clairsemée que
balance donc à Mélenchon le chroniqueur Trapenard, et qui suscite
les ricanements d’Aphatie sur le plateau du Grand Journal, est donc une
autre foule. Pas celle de Mélenchon. Dès le lendemain, Mélenchon et les mélenchoniens
sautent sur cette erreur providentielle de Canal + qui a confondu les deux
manifs. Ils demandent la saisine du CSA. Un partout, balle au centre.
Mais il leur a fallu
quelques heures pour réagir. Lui-même présent sur le plateau du Grand Journal
ne s’est pas aperçu sur le moment de l’erreur de Canal +. Même s’il fanfaronne
comme d’habitude («Mélenchon, il sort pas de l’œuf») il ne voit même pas le
bout de la colonne du génie de la Bastille qui lui mettrait la puce à l’oreille
(car sa manif n’y est pas déroulée), il semble vaincu par la démonstration
fausse de Canal +, tout empatouillé qu’il est dans ces histoires de comptage,
peut-être est-il fatigué de se débattre dans cette spirale dans laquelle il est
englué, dans laquelle chacun de ses mouvements l’englue davantage, devenu à son
tour comparse de de Caunes, clown accessoire du Grand Journal («Mélenchon il
sort pas de l’œuf», répète tendrement de Caunes, amusé par la gouaille
légendaire de l’invité), clown dénonciateur des injustices, des exploitations,
terrassé par son paradoxe de clown dénonciateur de la clownerie majuscule, le
terrible paradoxe de rendre digestible un discours radical dans la société du
spectacle.
Mélenchon s’énerve, il ne
sait plus où il est, il s’en prend au journaliste néerlandais qui a
pris la photo de son balcon, il le traite de «planqué», de «glandu de
première», de «péquenaud», il préfère s’en prendre à lui qu’à ses nouveaux
copains de clownerie de Caunes et Trapenard, il se trompe de cible, c’est
incroyable qu’une telle intelligence se trompe de cibles avec une telle
constance, se refuse avec une telle obstination à apprendre à diriger sa
colère, fonce dans les pièges, tête baissée, et en souriant, parce qu’on
lui a répété qu’il fallait sourire à de Caunes, et ce conseil-là il l’a
entendu, conseil pas plus stupide que les autres, mais incohérent.
Pendant ce temps, ce dont
on ne parle plus, c’est la scandaleuse hausse de la TVA qui va frapper les
pauvres, ceux qui ne peuvent pas protester, ne sont même pas venus à
la manif de Mélenchon parce qu’ils n’en ont pas l’idée, parce que c’est
Paris, parce que c’est loin, parce que même Mélenchon quand il passe à la télé,
ce n’est plus pour parler de la TVA, c’est pour répondre à Trapenard et
à Aphatie qui lui balancent des fausses images, c’est pour jouer avec eux,
jouer à un jeu cruel et incompréhensible, jeu mortel où il a tout à perdre et
si peu à gagner, mais jouer avec eux, vivre avec eux, les retrouver matin, midi
et soir, de micro en micro, accepter ce destin d’être le repoussoir fétiche du
pays enchanté, leur doudou râleur, un peu rugueux, mais qui se laisse tout de
même caresser à la fin, et reviendra demain.
Qu’il puisse placer à
égalité sa colère contre les hausses de TVA et celle contre le journaliste
néerlandais, qu’il puisse perdre de vue, lui Mélenchon, le scandale silencieux
de la hausse de la TVA, celui qui ne fera jamais rire de Caunes, voilà qui est
incompréhensible, inquiétant, terrifiant. En même temps, on comprend bien.
Il aurait tant aimé qu’ils soient 100 000 derrière lui, Mélenchon,
pour dénoncer les hausses de TVA. Mais ils n’étaient pas 100 000, même
s’ils étaient bien plus que les 7 000 de Valls. Et il ne comprend
pas, Mélenchon, pourquoi ils ne sont pas 100 000. Et sans doute ce semi-échec le
terrifie, et il se retourne contre le journaliste néerlandais qui a touché ce
nerf-là, celui de l’échec d’une mobilisation qui aurait dû emporter la
république.
Pendant trois jours, c’est
le sujet unique du buzz. Qui a bidouillé le plus, entre Mélenchon - TF1, et
Canal + - i-Télé ? Et toutes ces précieuses minutes d’antenne ne sont pas
consacrées au motif de la manif : la hausse piteuse de la TVA, malgré toutes
promesses antérieures des socialistes. Mais où est le plus dommageable biais de
l’information ? Dans les bidouilles par les uns et par les autres des chiffres
de manifestants, ou dans le fait que ces bidouilles-là volent du temps
d’antenne aux bidouilles par le gouvernement du taux de TVA ?
Daniel SCHNEIDERMANN